jeudi, juillet 13, 2006

L'art et la manière de dire non

II y a plusieurs manières de repousser une requête d'un collaborateur. L'envoyer balader n'est pas toujours la meilleure. Mieux vaut expliquer, proposer autre chose ou différer votre décision, selon les circonstances.

"Comment ça! A une semaine de la réunion de présentation du plan annuel avec le big boss, tu n'as personne pour te seconder ?" La scène se passe quelques jours avant Noël. Quand le DRH a découvert que le service marketing se retrouvait désert à un moment stratégique, il a failli s'étrangler. Qui avait autorisé les trois chefs de produit à déserter pendant les fêtes ? La chef de groupe. Une salariée compétente mais trop gentille. Elle n'avait pas su arbitrer entre les demandes de ses collaborateurs. Résultat : l'un d'eux a dû annuler son billet d'avion pour l'Asie du Sud-Est.

L'histoire est loin d'être anodine. La gestion des congés est excellent exercice pour un jeune manager. Souade, 35 ans, responsable adjointe de département, en a elle aussi fait l'expérience. Jeune promue, elle avait fait preuve de la même faiblesse. "Rien de dramatique, mais j'ai retenu la leçon, se souvient-elle. Depuis, je ne donne plus jamais mon accord dans l'instant. Cela me permet de mieux dominer ma nature à accepter tout ce qu'on me demande."

Vous aussi, vous avez du mal à dire non à vos collaborateurs ? Vous n'êtes pas le/la seul/e.

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Les organismes de formation, comme Demos ou la Cegos, affirment que les modules sur l'assertivité (la capacité à s'affirmer en respectant l'autre) n'ont jamais eu autant de succès auprès des managers. Ils figurent au top 10 des stages les plus demandés.

Mais pourquoi est-il si difficile d'exprimer un refus à son collaborateur alors même qu'on estime être dans son droit ? "Parce que cela revient à renoncer à être apprécié de tous, analyse Maryse Dubouloy, professeur en sciences humaines à l'Essec. Pour beaucoup d'entre nous, c'est une perspective très pénible". Même pour ceux qui ne risquent pas d'en perdre le sommeil, les conséquences d'un non font parfois un peu peur.
"Soupe à la grimace, absentéisme, baisse de motivation... Je me demande souvent si je n'ai pas plus à gagner en donnant un oui injustifié qu'un non mérité", témoigne Vincent, chef des ventes. Sûrement pas, tranchent tous les experts que nous avons interrogés au cours de cette enquête. Renoncer à un refus fondé sur un argument solide est la pire des solutions. D'abord, parce que cela peut être préjudiciable à la bonne marche de l'entreprise. Ensuite, parce que les managers qui disent oui en toutes circonstances finissent toujours par en payer le prix en termes de relations humaines. "C'est exact, confesse Sylvie, ancienne responsable RH. Dans mon job précédent, j'ai tellement cédé à tout le monde que je n'arrivais plus à me défaire d'une réputation de mauviette. Et croyez-moi, on ne m'appréciait pas plus que mon patron, qui n'avait pourtant rien d'un tendre...".

Cela étant, il ne suffit pas de faire preuve de fermeté. Vous devez aussi faire preuve de finesse : ne pas dire non de façon abrupte, différer votre réponse lorsque vous êtes tenté de dire oui contre votre gré, argumenter à partir de faits objectifs, rester sur un terrain professionnel, amener l'autre à partager votre décision. "C'est ce qu'on appelle une pédagogie d'adulte, résume Joël, DRH. Le collaborateur ne sera capable d'accepter votre fin de non-recevoir que si vous lui fournissez toutes les informations qui la justifient".

Voici 4 différentes manières de dire non en fonction des circonstances :

Le NON DÉFINITIF pour ne pas transiger sur les principes
En tant que manager, vous êtes chargé de faire respecter un certain nombre de règles dans les domaines du droit et de l'éthique. Si l'on vous fait une requête contraire aux principes de votre entreprise, votre non doit être immédiat et sans appel.
C'est la position qu'a adoptée Jean, DRH, quand l'un des cadres concerné par un plan social est venu le solliciter. "Il réclamait plus d'argent, plaidant qu'il s'était beaucoup investi sur le site. Cela revenait à accorder un dédommagement à la tête du client. Mon refus a été rapide et cinglant".
Autre cas de figure où le non catégorique s'impose : le subordonné qui revient à la charge sur un sujet déjà tranché. Rien n'agace plus Jacques, patron. "Quand j'ai dit non, c'est non ! Pour bien signifier que l'affaire est réglée, je refuse toute nouvelle discussion".
Pas besoin non plus de prendre des gants lorsque votre non concerne la sécurité. Philippe, par exemple, directeur d'une usine de production, se retrouve quasi quotidiennement confronté à ce genre de situation. "Il arrive souvent qu'une machine se dérègle, mettant en péril la qualité des produits, raconte-t-il. Je dois alors résister aux pressions du directeur commercial, qui, redoutant la rupture de stock, souhaite éviter à tout prix l'arrêt d'une ligne de production. Mais mes veto sont sans appel".
Dans certains cas, c'est le principe d'équité qu'il faut défendre. Si un salarié vous réclame un petit privilège, n'hésitez pas à le rembarrer sans ménagement.

Mais la fermeté n'empêche pas d'user de diplomatie dans la façon de répondre. Quand les requêtes émanent de nouveaux arrivants, peu familiers des usages maison, il est nécessaire de faire un peu de pédagogie.
Ronan, directeur, a failli tomber de sa chaise il y a deux ans. Son responsable commercial venait de lui demander de se faire accompagner par son assistante pour une tournée de prospection de trois semaines. "Il n'y avait aucune raison valable, raconte-t-il. Mais il arrivait d'une société avec une autre culture d'entreprise. J'ai réalisé qu'il avait poussé le bouchon un peu loin sans s'en rendre compte. Je n'ai pas eu à faire preuve de fermeté. Une explication a suffi".


Le NON, PARCE QUE pour prendre le temps d'argumenter
Vous auriez aimé dire oui, mais les circonstances vous en empêchent. A cause de l'état de santé de l'entreprise, des orientations stratégiques ou de la bonne marche du service. Dans ce cas, soignez bien votre argumentation. Problème classique : la demande d'augmentation. "En période de vaches maigres, j'explique que je donne la priorité aux salaires des collaborateurs qui sont à la traîne", témoigne Marc, PDG. Et si l'un d'entre eux le mérite plus que les autres mais qu'il n'entre pas dans la catégorie des salariés à augmenter en priorité ? Difficile de se défausser. Préparez alors soigneusement votre argumentaire, puis prenez votre temps pour lui expliquer que votre refus n'est pas lié à ses résultats. S'il a tous les éléments pour comprendre le contexte, il y a de fortes chances pour qu'il le prenne mieux que prévu.

Autre angle d'attaque : resituer la demande dans le temps. Combien gagnais-tu il y a deux ans ? Et aujourd'hui ? A combien as-tu été embauché? "Ce genre de questions permet souvent de faire comprendre au salarié que sa demande n'est pas si justifiée qu'il le pense, estime le professeur en sciences humaines Maryse Dubouloy. Par ailleurs, n'ayez pas peur de reconnaître les limites de votre pouvoir. Je ferai mon possible pour te soutenir. Mais je ne suis pas seul décisionnaire".

Si la boîte va bien mais que vous ne souhaitez pas céder, vous pouvez utiliser l’argument de l’effet de contagion. "T’accorder une prime de 1000 Euros pour le super travail que tu as fait je ne trouve pas ça scandaleux, a ainsi répondu Jacques à un de ses collaborateurs. Mais cela va devenir une référence pour les collègues. Et je ne peux pas me le permettre".


Le NON POUR L'INSTANT pour vous montrer conciliant
Vous ne pouvez pas dire oui le jour de la demande, mais vous espérez le faire dans un délai raisonnable. Ce non-là doit être particulièrement soigné pour éviter tout sentiment de frustration. Exemple : un cadre multiplie les initiatives et vous devez le freiner dans son élan parce qu'il a d'autres objectifs prioritaires. "Dernièrement, un de mes chefs de secteur a voulu réaménager son périmètre, raconte Carlos, directeur de magasin (380 salariés). L'analyse était bonne, l'objectif aussi. Mais il n'était pas payé pour cette tâche. Afin de ne pas trop le frustrer, je lui ai demandé d'améliorer d'abord la tenue de ses linéaires tout en m'engageant à réexaminer sa demande dans un an".

L'affaire se corse en cas de question sensible. Par exemple, une promotion que nous ne voulez pas accorder. Le conseil des coachs : prohibez le conditionnel, surtout, pas de flou. Proposez des 'axes de progrès', fixez des étapes qui permettront au salarié de ne pas perdre sa motivation.


Le NON, MAIS... pour trouver une autre solution
Vous vous trouvez au pied du mur : la demande revient pour la énième fois et elle ne peut être exaucée. "Essayez autre chose»" recommande Jean, DRH. Reste à trouver la bonne issue. Souade, elle, a ainsi été confrontée à une situation urgente. Deux membres de son équipe ne se supportaient plus et demandaient à être séparés depuis des lustres. "J'ai répondu non car ce n'était matériellement pas possible, raconte la jeune femme. J'ai ensuite demandé à voir les protagonistes séparément, puis j'ai provoqué une rencontre afin que chacun d'eux puisse exprimer ce qu'il pensait de l'autre. Du coup, les préjugés ont été levés, et le climat s'est détendu". Ici, l'alternative a été psychologique.

Autre situation critique : un collaborateur lorgnait un poste et vous le confiez à un autre. Comment éviter le clash ? En trouvant un lot de consolation : une formation haut de gamme ou une mission valorisante. C'est ce dont a bénéficié ce salarié d'une société d'assurances qui voulait passer du service accidents au service incendie. Le non de son chef s'est transformé en "non, mais je t'accorde le stage que tu m'as demandé".

Dernière tactique : moduler son refus en négociant des aménagements. Non à ceci, oui à cela : pas d'accord pour un jour de RTT accolé au week-end de l'Ascension, mais OK pour que tu prennes celui du 14-Juillet. Oui pour des horaires décalés, mais pas le lundi. Votre non à la demande initiale doit toutefois rester clair et net. Evitez de créer la moindre confusion dans l'esprit de votre collaborateur.

Enfin, n'oubliez pas que vous avez le droit de revenir sur une réponse négative. Philippe, avait décidé, en accord avec les ressources humaines et le supérieur hiérarchique, de ne pas accorder une augmentation à un de ses agents de maîtrise. Il a ensuite réalisé que ce refus n'était pas justifié. "J'avais jugé la demande non prioritaire face à d'autres. J'ai reçu l'intéressé concerné pour désamorcer le conflit avec son supérieur. Il m'a fourni des détails sur l'évolution de ses responsabilités, résultats à l'appui. La situation avait été mal analysée et de façon un peu précipitée". Le non a fini en oui !


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Pascal Vancutsem, consultant chez Coaching Performance
N'ayez pas peur de vous affirmer franchement

Pourquoi est-il si difficile de dire non à ses collaborateurs ? Parce que cela revient à oser s'affirmer. A ceux qui n'y parviennent pas, je conseille de remettre en cause leurs doutes du type "Je n'y arriverai pas", "je serais perçu comme un chefaillon", "je vais le blesser", etc. Est-ce si grave de s'opposer ? Craignez-vous des dommages collatéraux ? Et si c'était le cas, quelle en serait leur importance ?

Pour aider mes clients à décrypter leurs hésitations, je préconise un petit exercice :
Tracez 4 colonnes sur une feuille
- une pour le contexte,
- une autre pour les faits,
- une troisième pour vos émotions (peur, culpabilité, frustration,...)
- et une dernière pour vos comportements (paternalisme, apathie,...)
C’est une bonne façon de prendre de la distance et de comprendre ce qui paralyse.


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La méthode ACCEPT, ou comment justifier son refus avec tact
Dire non à une demande, mais oui à la personne, là réside le secret !
La méthode ACCEPT aide à réaliser ce tour de force. "Si le manager doit s'affirmer dans son refus, il ne doit ni blesser ni démotiver son collaborateur, souligne Bertrand Déroulède, consultant à la Cegos, qui préconise ce pense-bête.

Exemple concernant un as de l'informatique désireux d'être détaché sur un autre projet :

(A) A-ccueillir la demande
Prenez le temps d'écouter. "Ta question est importante. On va se voir tranquillement dans mon bureau !".
(C) C-adrer le souhait
Ne coupez pas l'autre dans ses explications. Puis questionnez : "Que veux-tu faire dans ce projet ? Sur quelle durée ?". Vous cernerez ainsi sa vraie demande.
(C) C-larifier les contraintes
"Aujourd'hui, si je te lâche, on ne maintiendra pas nos objectifs. Et la qualité de la hot line en pâtira", etc.
(E) E-xprimer ses regrets
Récapitulez. "Je suis désolé, compte tenu de tous ces faits, je ne peux accepter !"
(P) P-roposer une solution
"J'ai entendu ton désir d'être formateur. Je m'engage à te libérer ponctuellement et à demander à la DRH de te remplacer".
(T) T-erminer sur une note positive
"Qu'en penses-tu ? Es-tu d'accord avec cela ?" De cette façon, vous devriez obtenir un accord !


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Comment dire non à son patron

"Non ! Je n'ai plus assez de temps pour endosser un autre dossier commercial. J'ai déjà sacrifié les deux derniers week-ends, je ne peux mordre davantage sur ma vie privée!" C'est au téléphone que Ronan, manager, a décliné la requête de son superviseur outre-Atlantique. Ce dernier a renoncé. "C'était un non dur à dire. J'ai ressenti une sorte de culpabilité. Pour autant je ne regrette rien, car mon employeur ne me donnait pas les moyens suffisants pour atteindre ce nouvel objectif".

Votre patron charge un peu trop la barque ? Il vous met la pression ? Résistez en douceur. Prise de distance, argumentaire ficelé, suggestions sont tout aussi recommandés dans cette situation que lorsque vous dites non à un collaborateur. Que vous faut-il? Des bras en plus, un budget plus conséquent, l'abandon d'une autre tâche, un délai... On vous le refuse ? La démonstration est faite : la mission est impossible.

Autre cas de figure : les ordres qui enfreignent l'éthique, délicats à contrecarrer. "J'ai coaché l'an passé un directeur financier complètement désemparé, raconte Bernard Hévin, directeur du Dôjô. Son boss exigeait qu'il harcèle deux personnes dans son service pour réduire l'effectif sans licencier. Ce manager n'osait pas refuser. Il avait demandé à réfléchir. On a travaillé sur son cas de conscience". Finalement, il a dit non, arguant le risque d'un procès pour harcèlement moral qui aurait éclaboussé l'entreprise. Un fait objectif, indiscutable. Idéal pour faire plier un chef tout-puissant.


Par Marie-Madeleine Sève - Publié dans Management, septembre 2005